Discours de Philippe Rahmy, lundi 11 novembre 2013
Mesdames, Messieurs, chers amis de remue.net et d’ailleurs,
quelle joie d’être avec vous ce soir pour la remise de cette mention spéciale du Prix Wepler. Je remercie très chaleureusement Marie-Rose Guarniéri, ainsi que chaque membre du Jury, la Fondation La Poste et la Brasserie Wepler. L’existence de l’écrivain est comme toutes les existences, une grammaire de la solitude ponctuée de lumières. Chaque lumière : une rencontre vraie, un bonheur.
Longtemps, je me suis demandé si je préférais tenir un livre ou une main amie. Je voyais, pour en faire l’expérience, une frontière, un rapport d’exclusion, entre l’écriture et la vie. Mes phrases me permettaient d’accomplir toutes les choses folles, les fugues, les conquêtes, dont mon corps était incapable, et mon corps ne rêvait que du surcroît de santé qui lui permettrait d’oublier, pour un temps, les livres.
Aujourd’hui, cette frontière est abolie. Mon voyage en Chine et le texte que j’en ai ramené ont marié, pour les dépasser, apprentissage de la mort et désir de vivre.
Me voici rentré d’un lointain voyage, passant sans relâche, comme le chien croise et recroise le seuil de la maison, de l’inconnu de la mégapole Shanghai à l’intimité du langage enivré, dilaté, emporté par la foule de la grande ville, à laquelle s’est mêlée celle de mes souvenirs. Je suis revenu transformé, normé par la multitude, borné par le mouvement, restitué au seul geste d’écrire. Ce geste en a appelé d’autres, réponses de la chance : la main tendue d’un éditeur, d’abord, La Table Ronde, les mains jumelles d’Alice Déon et de Françoise de Maulde qui ont mené ce texte au livre. Ensuite les mains expertes, inspirées, des libraires, sans lesquelles les livres s’échangeraient comme des marchandises. Enfin, les mains des lecteurs, les vôtres, les miennes, occupées à de si nombreuses tâches, pas toujours ragoûtantes, mais sauvées d’avoir acquis le réflexe de la littérature.
Philippe Rahmy, 11 novembre 2013